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OMAR-DOURMANE jurisprudence islamique
15 avril 2014

Regroupement de deux prières canoniques en situation de résidence

Regroupement de deux prières canoniques en situation de résidence

 

Au Nom de Dieu le Tout-Miséricordieux, le Très Miséricordieux. Que la bénédiction et le salut de Dieu soient sur le plus noble d’entre les Prophètes et les Envoyés notre maître Muhammad, ainsi que sur sa famille et ses Compagnons.

Après ce préambule nécessaire,

Il est une question qui devient de plus en plus fréquente : Est-il ou non permis de regrouper deux prières prescrites alors qu’on est en situation de résidence ?

Avant d’y répondre, j’aimerais rappeler une caractéristique que Dieu a conférée à l’homme, le distinguant ainsi des autres créatures. C’est la liberté totale et parfaite à laquelle l’homme ne cesse d’aspirer et qu’il cherche continuellement à réaliser. Participe de cette liberté à laquelle l’homme tient tant la liberté de culte qui découle des concomitants de son dogme.

Le musulman ne fait pas exception à cette règle. Lui aussi désire la liberté qui permet à l’individu de disposer sans opposition aucune de sa personne et de ses affaires.[1] Et il n’appartient à aucune créature en ce monde d’empêcher quelqu’un de s’acquitter de sa prière ; ce serait un acte blâmable qu’il faudrait absolument interdire. Le Noble Coran blâme les gens qui interdisent la prière à autrui : « As-tu vu celui qui empêche un serviteur [de Dieu] d’accomplir sa prière ? » [96 : 9-10]

Nous disons cependant qu’en cas de nécessité et de difficulté extrême : Si les fuqahâ (jurisconsultes) sont unanimes à dire que l’on peut regrouper les prières du Dhuhr (midi) et du ‘Asr (après-midi) à ‘Arafa et le maghrib (coucher) et le ‘Ishâ’ (soir) à Muzdalifa, ils divergent sur la question de regrouper deux prières prescrites lorsqu’on est en situation de résidence.[2]

Le désaccord des fuqahâ découle de l’interprétation qu’ils font du hadîth d’Ibn ‘Abbâs : « Le Prophète (r) fit ensemble les prières de midi et de l’après-midi, puis celles du coucher du soleil et de la nuit ; en l’absence de motifs telles que la peur ou la pluie. » Dans une variante : « Cela à Médine, et en l’absence de motifs telles que la peur ou la pluie ». On demanda à Ibn ‘Abbâs : « Quelle était son intention ? – Il ne voulait pas mettre sa Communauté dans la gêne et l’embarras, répondit-il. »[3] Selon une variante : On demanda à Ibn ‘Abbâs : Pourquoi a-t-il agi ainsi ? – Il voulait rendre les choses faciles pour sa Communauté. »[4]

Les fuqahâ ont donné de ce hadîth des interprétations différentes et ont essayé de détourner son sens obvie de diverses manières :

Ainsi un groupe d’entre eux dit : Le regroupement de deux prières a pour cause la pluie, c’est ce que soutient l’imam Mâlik dans son Muwatta’.[5] Or cet avis a été réfuté en s’appuyant sur l’une des variantes authentiques de ce hadîth où il est mentionné que le Prophète (r) regroupa deux prières en l’absence de motifs telles que la peur ou la pluie.[6]

Un autre groupe dit : L’on peut retarder l’accomplissement de la première prière jusqu’à la fin de son temps, puis s’acquitter de la seconde prière au début de son horaire légale. 

Cette manière de regrouper deux prières est appelée regroupement formel (sûrî)[7]. Une telle interprétation a été elle aussi rejetée car le sens obvie que la coutume (‘Urf) confère au terme regroupement ne l’admet pas, car chacune des deux prières a été faite en son heure canonique. Par ailleurs, regrouper deux prières est une permission générale qui concerne aussi bien la masse des gens que l’élite, or la connaissance exacte du début et de la fin des heures des prières n’est pas connue de la plupart des gens de l’élite et a fortiori de la masse. Ce qui réduit à rien le caractère général de cette permission.[8]

 Muslim a rapporté d’après ‘Abd Allâh Ibn Shaqîq[9] : « Un jour, Ibn ‘Abbâs nous a fait un sermon après la prière du ‘Asr qui se prolongea jusqu’à ce que le soleil se soit couché et que les étoiles se soient levés. Les gens commencèrent alors à dire : ‘‘La prière ! La prière !’’ Un homme issu des Beni Tamîm se dirigea vers lui et dit sans fléchir ni faiblir : ‘‘La prière ! La prière !’’ Ibn ‘Abbâs lui dit : Tu veux m’apprendre la Sunna ? Puisse ta mère te perdre. Puis il dit : J’ai vu l’Envoyé de Dieu regrouper les prières du Dhuhr (midi) et du ‘Asr (après-midi) et celles du maghrib (coucher) et du ‘Ishâ’ (soir).

‘Abd Allâh Ibn Shaqîq  dit : « Mon esprit en fut troublé, je me rendis alors auprès d’Abû Hurayra pour l’interroger à ce sujet, et il confirma les propos d’Ibn ‘Abbâs. »[10]

 Réfutant qu’il s’agisse dans ce hadîth du regroupement formel de deux prières, Ibn Taymiya dit : « Même les moins versés dans la science n’ignorent pas que le regroupement formel est légalement permis. S’il s’agissait de cela, cet homme (‘Abd Allâh Ibn Shaqîq) n’aurait certainement pas été troublé. Il n’aurait pas non plus eu besoin de rapporter les faits à Abû Hurayra et le questionner à ce sujet. Le regroupement formel est une chose notoirement connue des musulmans dont ils savent qu’elle est permise. »[11] Ibn Taymiya a autorisé le regroupement de deux prières.

 Un troisième groupe s’est tenu au sens apparent du hadîth, permettant ainsi de regrouper deux prières en situation de résidence. C’est le cas d’Ibn ‘Abbas, le narrateur du hadîth, et d’Abû Hurayra (t). C’est aussi l’avis prôné par beaucoup d’anciens imams parmi les Gens de la Famille du Prophète (Ahl Al-bayt). C’est également la doctrine d’un groupe de juristes et d’imams Zaydites.[12]

 Parmi les compagnons des Compagnons (Tâbi‘în), il en est qui ont prôné le regroupement de deux prières. Ainsi Ibn Sîrîn[13] ne voyait-il aucun mal à réunir deux prières en cas de besoin ou autre à condition de ne pas en faire une habitude.[14] Certains fuqahâ parmi les Mâlikites[15], les Shâfi‘ites[16] et les Hanbalites[17] ont suivi son avis. Ce dernier avis est, selon nous, le plus convenable et le plus aisé à suivre car il s’accorde avec l’esprit de la Sharî‘a et concrétise les finalités de ses textes. En effet, il est difficile aux minorités musulmanes vivant en Occident d’accomplir, en hiver, les prières en leur temps canonique, les journées étant très courtes et le temps séparant les prières de midi et de l’après-midi très réduit. Ils éprouvent aussi une très grande gêne en été car le temps entre le maghrib et le ‘Ishâ’ est très long. Il sied dès lors d’adopter cet avis stipulé dans les Textes (mansûs ‘alayh) car il permet d’éviter de commettre un grand péché, savoir le fait que d’aucuns s’abstiennent purement et simplement de prier. Le muftî doit, comme le dit Ash-Shâtibî, prendre en compte les finalités avant de répondre aux questions qui lui sont posées.[18]

 Cette fatwâ a été émise par le Conseil européen des recherches et de l’Iftâ’, et par le Sheikh Al-Albânî dans son commentaire du hadîth d’Ibn ‘Abbâs rapporté dans sa silsila As-Sahîha (2837)[19]. Ce dernier dit : « C’est là un texte stipulant le regroupement réel (haqîqi), car dans la terminologie légale, lever la gêne veut dire lever le péché et la gêne. » Il dit ensuite : « Le regroupement de deux prières est permis seulement lorsqu’il y a gêne sinon il ne l’est pas, or cela varie selon les gens et leurs conditions. » Le Sheikh Al-Albânî (‹) prend ainsi en compte les individus et les situations des gens, lesquelles sont forcément différentes. Parmi les savants contemporains qui sont aussi de cet avis, il y a le Sheikh Al-‘Uthaymîn (‹) qui dit : « Toutes les fois que l’homme peut difficilement s’acquitter de chaque prière en son temps légal il est autorisé à réunir deux prières ensemble. » Il poursuit : « En tout état de cause, il est connu dans l’école hanbalite que le regroupement de deux prières est permis. »[20] Cela dit, Dieu sait mieux de quoi il en retourne.

Sheikh Dourmane Omar membre de l’Union internationale des savants musulmans et chef du département des études et sciences islamiques à la Faculté des sciences islamiques de Paris (FSIP)



[1]  Maqâsid Ash-Sharî‘a, Ibn ‘Âshûr, p. 391.

[2]  Marâtib Al-Ijmâ‘, Ibn Hazm, p.45.

[3] Al-Mufhim, Al-Qurtubî ; 2/346-347 ; At-Tamhîd, 5/42 ; Al-Fath, 2/208 ; Musnad l’imam Ahmad, 3/292 ; Sahîh Ibn Khuzayma, 1/408.

[4] Al-Musannaf, Ibn Abî Shayba; 5/390-391. Tahqîq (édition critique) du Sheikh Muhammad ‘Awwâma.

[5]  Voir le Muwatta’,1/207-208. Dâr Al-Gharb Al-Islâmî, tahqîq (édition critique) du Dr Bashshâr ‘Awwâd Ma‘rûf.

[6]  Al-Mufhim, Al-Qurtubî ; 2/347 ; Sharh Muslim d’Al-Ubbî, 3/27.

[7] Badhl Al-Majhûd fî hall Abî Dâwûd, As-Sahârnafûrî,  vol 3, 6 /284-288 ; Sharh Sunan d’Abû Dâwûd d’Al-‘Aynî, 3/405.

[8] Ma‘âlim As-Sunan, Al-Khattâbî, 2/52, cité avec quelque liberté. Voir aussi Muslim avec le Sharh d’An-Nawawî, vol

[9] ‘Abd Allâh Ibn Shaqîq Al-‘Uqaylî, un narrateur de Bassora. Il est sûr, mais il était un adversaire des gens de la Famille du Prophète (sibî). Ibn ‘Adiyy a dit : Son hadîth est acceptable, si Dieu le veut. Quant à Yahyâ Ibn Ma‘în, il a dit à son sujet : Il compte parmi les meilleurs d’entre les musulmans et son hadîth est inattaquable. Voir Mîzân Al-I‘tidâl d’Adh-Dhahabî, 3/153-154 ; Taqrîb At-Tahdhîb d’Ibn Hajar, p.307.

[10] Muslim avec le Sharh d’An-Nawawî, vol 3, 5/184-185.

[11] Al-Fatâwâ d’Ibn Taymiya, 24/81.

[12] Izâlat Al-Khatar ‘amman jama‘a bayna as-salâtayn fî al-Hadar, Al-Hâfidh Abû Al-Fayd Muhammad Ibn As-Siddîq Al-Ghumârî, pp.112-113 ; Fiqh al-Imâm Jâbir Ibn Zayd, jam‘ wa tartîb Yahyâ Muhammad Bakkûsh, p.225. Voir aussi Matn Kitâb Al-Azhâr d’Ahmad Ibn Yahyâ, surnommé Al-Mahdî, avec son sharh As-Sayl Al-Jarrâr d’Ash-Shawkânî, 1/191.

[13] C’est le compagnon des Compagnons Muhammad Ibn Sîrîn, surnommé Abû Bakr, l’affranchi d’Anas Ibn Mâlik. Il appartient à la seconde catégorie des gens de Bassora. Il a rapporté le hadîth d’après Anas, Zayd Ibn Thâbit, Ibn ‘Umar, Ibn ‘Abbâs, Abû Hurayra et autres. Il est décédé en l’an 110 de l’hégire. Parmi ses dires : « Lorsque Dieu veut du bien pour un serviteur, Il fait que son cœur l’exhorte à pratiquer le bien et à s’abstenir du mal ». Il disait aussi à celui qui l’interrogeait sur le songe : « Prémunis-toi envers Dieu dans la veille et tu n’auras rien à craindre de ce que tu vois dans le sommeil. » Sifat As-Safwa d’Ibn Al-Jawzî, vol 2, 1/133-138.

[14] Ma‘âlim As-Sunan, Al-Khattâbî, 2/55.

[15] Comme Ashhab qui l’autorise de manière absolue. Voir Al-Muqaddimât d’Ibn Rushd, 1/186 ; Al-Muntaqâ d’Al-Bâjî, vol 1, 1/255 ; At-Tawdîh de Khalîl ‘Alî Ibn Al-Hâjib, 1/513

[16] Comme Al-Qaffâl Al-Kabîr Ash-Shâshî et Ibn Al-Mundhir. Voir Rawdat At-Tâlibîn d’An-Nawawî, 179.

[17] Comme Ibn Taymiya et le sheikh ‘Abd Al-Qâdir Ash-Shaybânî Al-Hanbalî. Voir Nayl Al-Ma’ârib sharh dalîl At-Tâlib, 1/133-134 ; Manâr As-Sabîl sharh ad-dalîl du sheikh Ibrâhîm Ibn Muhammad Dûyân avec le tahqîq (édition critique) du Sheikh Al-Albânî, 1/130-133 ; Al-Fatâwâ d’Ibn Taymiya, 24/72-84.

[18] Al-Muwâfaqât, Ash-Shâtibî, vol 2, 4/169.

[19] As-silsila As-Sahîha, Sheikh Al-Albânî, vol 6, 2/814-817.

[20] Ash-Sharh Al-Mumti‘, 2/262.

 

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